jeudi 12 décembre 2013

« Un spectre hante l’Europe » : la déflation

Auteur : Jean-Yves Naudet
Sources : www.contrepoints.org et Monnaie & Finance
Mise en ligne : 12 décembre 2013

En prétendant combattre la déflation, ne crée-t-on pas des bulles spéculatives et l’inflation de demain ?


Marx et Engels commençaient le Manifeste communiste, publié en 1848, en affirmant : « Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme ». À lire les analyses des médias aujourd’hui, le nouveau spectre qui fait peur à tout le monde, ce serait la déflation. Quasi-unanimité des journaux, des dirigeants de Banques centrales, des politiques et des experts réels ou auto-proclamés : la déflation, voilà l’ennemi, qu’il faut combattre par la création monétaire. Est-ce si sûr ? Est-ce si grave ? Est-ce qu’on n’est pas en train de se tromper de cible et, en prétendant combattre la déflation, ne crée-t-on pas des bulles spéculatives et l’inflation de demain ?

Où est la déflation, quand les prix progressent ?

La déflation est-elle à nos portes ? À en croire notre confrère Le Monde, cela ne fait pas de doutes : « Gare au piège déflationniste », « Déflation, l’Europe se divise ». Heureusement « La BCE prête à tout pour lutter contre le risque de déflation ». Mais Les Échos ne sont pas en reste : « Le spectre de la déflation resurgit dans l’hexagone. Le recul de l’inflation fait peser une menace ». Bref, la déflation, voilà l’ennemi, et l’ennemi n’est même plus à nos portes, il est dans la place.

Voyons d’abord les chiffres. Le dernier communiqué de l’OCDE en matière d’inflation est daté du 6 novembre. On y apprend que, pour les douze mois entre août 2012 et août 2013, la hausse des prix a été pour l’ensemble de l’OCDE de 1,5%. Ce n’est pas exactement une déflation, qui, elle, se traduirait par un recul du niveau général des prix. Mais la déflation est-elle en Europe ? On observe 1,3% dans l’Union européenne (les 28) et 1,1% dans la zone euro (les 17). Pour douze mois se terminant en octobre, la zone euro annonce 0,7%. En France même, très touchée selon nos confrères, la hausse des prix a été de 1,0%, selon les indices harmonisés et 0,6% selon le dernier indice INSEE.

La modération des prix est une bonne nouvelle

On admettra que c’est une hausse faible, modérée, mais nous aurions tendance à dire que c’est une bonne nouvelle. C’est une bonne nouvelle pour le pouvoir d’achat : à un moment où il est en souffrance avec la baisse des revenus, il échappe à l’érosion due à la hausse des prix. Un plein d’essence un peu moins cher, c’est toujours ça de pris. C’est aussi une bonne nouvelle pour la compétitivité de nos pays : dans le cadre de la mondialisation et d’une concurrence internationale sévère, mieux vaut avoir des prix relativement sages. Mais de façon plus générale, c’est une bonne nouvelle pour la santé de l’économie, parce que le calcul économique est plus rigoureux avec une monnaie stable : entreprises, épargnants, investisseurs ne se sont pas trompés par les faux prix liés à la spéculation, qui aboutissent à rentabiliser des activités improductives. L’inflation c’est la victoire de la cigale sur la fourmi. Le calcul économique des entreprises et des ménages a besoin de s’appuyer sur des prix relatifs fiables, significatifs, donnant une information sincère sur la vraie valeur de marché.

Par contraste l’inflation crée désordres et gaspillages, et ruine les bases mêmes de la société. De la chute de Rome à la République de Weimar en passant par la Révolution Française, les exemples historiques des dangers mortels de l’inflation, aussi bien pour l’économie que pour la politique, ne sont que trop nombreux.

Mais que disent les angoissés de la déflation ? Que c’est la pire des maladies. Ils ignorent donc les chaos inflationnistes, ils déplorent que les salaires ne progressent pas assez vite. Ils en oublient qu’en inflation les salariés sont payés avec de la monnaie de singe, et que des coûts plus élevés ruinent la compétitivité.

Oui, l’économie va mal…

Pour étayer leur argumentation, les angoissés de la déflation mettent en avant la situation des pays du sud de l’Europe. Ces pays ont des déficits extérieurs et des coûts de production trop élevés. S’ils avaient chacun leur monnaie, cette situation se traduirait par une perte de valeur de leur monnaie et une dévaluation. Cette adaptation par les taux de change n’aurait sans doute qu’un effet éphémère en l’absence de changements structurels, mais elle permettrait un sursis qui pourrait être exploité pour de vraies réformes.

Mais avec la zone euro, plus de dévaluation possible puisque les monnaies nationales ont disparu, donc plus d’ajustement par les taux de change. Alors, la seule adaptation possible est par les coûts de production y compris salariaux. Les excédents allemands s’accompagnent d’une relative stagnation des salaires en Allemagne, et c’est ce qui met cette économie sur le chemin du redressement.

Oui, mais c’est précisément ce qui fait réagir ceux qui dénoncent les dangers de la déflation. Comme l’économie va mal, il faudrait au contraire augmenter les salaires, distribuer du pouvoir d’achat, pour relancer la croissance et l’emploi. On en revient ainsi à l’éternelle erreur keynésienne : dépenser pour sortir de la crise. Mais qui peut croire que le chômage massif disparaît en gonflant des revenus factices ? Ce tour d’équilibriste ne peut se faire qu’en injectant de la monnaie dans le corps économique. Mais n’est-ce pas ce qui se fait déjà, et pour quel résultat ? En Europe comme aux États-Unis, les pays croulent déjà sous la création monétaire et le taux de base des Banques centrales est proche de zéro. Veut-on un taux d’intérêt négatif ? Le laxisme monétaire n’a en rien empêché la récession et le même Monde qui crie contre la déflation titrait il y a peu que les relances monétaires n’avaient servi à rien. Est-ce que doubler la dose du drogué peut le guérir de son addiction ?

Ce n’est pas le laxisme monétaire qui la guérira

Ceux qui estiment que nous sommes en déflation et qui proposent une création monétaire accrue, sont les mêmes que ceux qui ont proposé et obtenu en 2009, face à la récession, une relance budgétaire. Cela a relancé à coup sûr quelque chose : les dettes souveraines et on a provoqué la crise de l’endettement public. Les keynésiens ont été pris au piège de la relance budgétaire, ils se rabattent maintenant sur une relance monétaire. Mais ils repassent toujours le même plat. Tout d’abord, ils éliminent leurs responsabilités dans la crise engendrée par les déficits budgétaires, en prétendant, comme l’ineffable Paul Krugman, que c’est la politique de réduction des déficits qui a créé la stagnation : on ne serait pas allé assez loin dans la relance budgétaire, donc on a aggravé la récession et créé la déflation.

Ensuite, ils soutiennent que le financement des déficits par la création monétaire est une bonne chose et ils applaudissent aux politiques monétaires « non conventionnelles » – c’est-à-dire sans limite – menées par la Fed, imitée maintenant par la BCE sous l’impulsion de Mario Draghi. Comme l’expansion monétaire sert surtout à faire crédit aux États, directement ou indirectement, le tour de magie est opéré : on fait d’une pierre deux coups, on assouplit la gestion des finances publiques tout en distribuant du pouvoir d’achat pour tous.

Certes, ces savants nous expliquent que la drogue monétaire n’est pas dangereuse. La preuve : les bilans des banques centrales explosent et les prix restent sages. Oui, mais l’inflation peut revenir brutalement et, en attendant, elle s’est déversée dans les pays émergents : plus de 10% d’inflation en Inde ou en Argentine, plus de 8% en Indonésie, autour de 6% au Brésil, en Russie ou en Afrique du sud. D’autre part, ces politiques monétaires laxistes provoquent des bulles spéculatives, semblables à celles qu’on a vues dans l’immobilier ou sur les places boursières et qu’on retrouvera ailleurs demain. Étrange politique que celle qui consiste à critiquer la « spéculation » qui se produit sur les marchés tout en fournissant l’aliment monétaire qui rend cette spéculation possible !

Si la déflation est actuellement un fantasme, le spectre véritable, c’est la récession et le chômage. Il n’a pas de cause monétaire. Dans une interview au Monde du 16 novembre, Michael Heise, économiste chez Allianz à Munich affirmait que « la reprise doit se faire grâce au redémarrage de l’économie réelle, pas grâce aux liquidités de la Fed ou de la BCE ». La baisse des salaires est une remise à niveau en Europe du sud, qui contribuera à cette reprise. Là où les rigidités sont trop grandes, comme en France, l’ajustement ne se fera pas. Au fond, tous ceux qui affirment craindre la déflation sont ceux qui refusent les réformes réelles de l’État, des prélèvements excessifs, des rigidités règlementaires, pour nous proposer l’illusion monétaire. Ces étranges médecins nous offrent un peu plus de drogue pour mieux fuir le réel.


mardi 3 décembre 2013

The Ascent of Money – Niall Ferguson

Chaque semaine, Contrario vous recommande un ouvrage d’un auteur libéral. Cette fois-ci, c’est un historien écossais contemporain qui est à l’honneur.

The Ascent of Money par Niall Ferguson


Cet excellent ouvrage de l’historien britannique Niall Ferguson publié en novembre 2008 traite non pas seulement de l’histoire de la monnaie, mais bien de l’histoire de la finance en général, de la préhistoire à nos jours. Même s’il adopte des vues controversées et des affirmations questionnables, il a le grand mérite de ne pas être une lecture aride qui comme certains manuels d’histoire peuvent l’être.

Les crises financières et les scandales financiers arrivent bien assez fréquemment pour faire paraître la finance comme une source d’appauvrissement plutôt que d’enrichissement. Pourtant, malgré toute la règlementation et l’interférence étatique, les marchés financiers créent bel et bien de la richesse. Selon Ferguson, l’innovation financière a été un facteur indispensable dans l’avancement de l’humain du statut de subsistance précaire d’il y a quelques siècles au niveau de vie confortable dont nous jouissons présentement dans les pays développés. En fait, Ferguson avance que la finance est une composante primordiale du développement et de l’enrichissement des nations : la clé de voute de la prospérité. La pauvreté d’une nation ne résulte pas de la présence des institutions financières, mais bien de leur absence. Ce n’est que lorsque les petits entrepreneurs ont accès à une source de financement qu’ils peuvent s’évader de l’emprise des usuriers et devenir les maîtres de leur destin, favorisant le développement de leur société.

Le blog de Niall Ferguson:

Une vidéo de 4 heures commentée par Niall Ferguson a été réalisée par Channel 4 à partir du livre : http://www.youtube.com/watch?v=4Xx_5PuLIzc  

Détruisons pour progresser !

Auteur : David Rosseels
Mise en ligne : 3 décembre 2013

La vie d’un produit n’est pas linéaire mais connait successivement les étapes suivantes au sein d’un cycle (‘cycle de vie du produit’):
-         Une phase de développement
-         Une phase de lancement
-         Une phase de croissance
-         Une phase de maturité
-         Une phase de déclin


La longueur de chacune de ces phases dépend du type de produit et du secteur / marché au sein duquel il évolue. Un produit pharmaceutique pourra ainsi avoir un cycle de vie infiniment plus long qu’un produit informatique. La totalité des produits est néanmoins vouée à disparaitre à la fin de leur phase de déclin. La rentabilité d’une entreprise est assurée en alternant le développement de différents produits afin de faire correspondre la phase de déclin de certains de ses produits à la phase de croissance d’autres de ses produits.

La théorie de la ‘destruction créatrice’, pensée par l'économiste Joseph Schumpeter, est liée à ce concept de cycle de vie du produit. Selon ce concept, les produits les moins compétitifs / innovants sont voués à disparaitre et à être remplacés par des produits plus compétitifs / innovants. L’innovation est alors considérée comme un moteur essentiel de la croissance à long-terme. L’innovation peut d’ailleurs être présente sous différentes formes, tant au niveau de la technologie des produits (i.e. les appareils photos Polaroid, les cassettes vidéo VHS ou les téléphones mobiles Nokia remplacés par des technologies plus avancées), de la gestion des stocks, du marketing ou de la gestion des ressources humaines (i.e. les librairies traditionnelles remplacées par le distributeur Amazon) par exemple.

L’octroi de subsides / aides diverses vient perturber le cycle de vie des produits et la théorie de la ‘destruction créatrice’. Ces subsides permettent de prolonger de manière artificielle la phase de maturité de certains produits et de retarder leur phase de déclin. Les deux conséquences les plus importantes d'un point de vue économique sont les suivantes :
-         Les sociétés bénéficiant desdits subsides / aides diverses ne sont pas incitées à innover ou du moins à le faire rapidement. Le prolongement de la phase de maturité de leurs produits leur assure une marge confortable qui se maintiendra tant que les subsides / aides diverses seront octroyés.
-         Les sociétés proposant des nouveaux produits plus compétitifs / innovants ne peuvent imposer lesdits produits sur le marché car elles sont désavantagées par rapport aux sociétés bénéficient des subsides / aides diverses.

Par conséquent, l’octroi de subsides / aides diverses permet d’éviter des licenciements à court terme mais ne privilégie ni l’innovation, ni la croissance et l’emploi sur le long terme. Les politiciens, ayant des mandats assez courts, auront malheureusement toujours tendance à privilégier des solutions sur le court terme au préjudice de l’intérêt général. Le secteur de l’acier et du verre en Belgique en sont les meilleurs exemples !

Lien vers le blog de l’auteur :